Ceux
qui voulaient guérir
Un film d'Aurélie Marques et Louis Bidou
Film proposé en festival
Synopsis
Au Pérou, dans le huis clos d’un centre de soins pour toxicomanes, entre médecines amazoniennes et ateliers thérapeutiques, quatre patients explorent les zones d’ombre de leur passé et cherchent à tâtons un chemin vers la guérison.
“Ceux qui voulaient” guérir est une invitation à poser un autre regard sur l’addiction, l’apport des médecines alternatives et le processus complexe de guérison.
Beta teaser
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Site dédié : https://lavoiedesplantes-lefilm.com/
Page facebook : https://www.facebook.com/lavoiedesplantes/
Au delà du film
Interview avec le Dr Jacques Mabit, fondateur du centre Takiwasi
Après deux mois passés à Tarapoto à partager le quotidien du centre Takiwasi, le Dr Jacques nous reçoit pour une dernière interview.
En deux mois, notre regard sur le centre a bien évolué. Au départ, la ritualisation complexe des soins nous était hermétique, l’agenda de Takiwasi difficile à suivre et les patients inaccessibles.
Nous avons d'abord trouvé un premier terrain de rencontre avec le groupe : le terrain de foot… cet espace formidable qui nous aura offert des rencontres spontanées et sympathiques tout au long de notre voyage en Amérique Latine, depuis les communautés Satéré Mawé le long des affluents de l’Amazone Brésilien, jusqu’aux villages Kallawaya de l’altiplano Bolivien.
Dès la deuxième semaine, nous faisions notre première rituel de purges par les plantes aux côtés des patients et traversions ensemble l’épreuve d’une session d’ayahuasca. Nous avons partagé au centre des moments conviviaux et intimes, le réveillon de Noël, la fête du nouvel an… Ce temps était nécessaire à la construction d’une confiance réciproque.
Pour Jacques Mabit, il était surement important que nous ayons construit nos propres expériences, notre propre entendement, avant d'effectuer cette interview.
Jacques Mabit nous reçoit en fumant le mapacho, un tabac considéré comme un “plante maîtresse”, qui enseigne. Ce sera une interview fleuve de plus de deux heures. Nous vous en restituons ici les principaux axes en deux vidéos.
Première partie
00:17 Quel est votre parcours ?
09:38 Comment avez-vous décidé de travailler avec des toxicomanes ?
16:32 Quel est l’objectif du centre Takiwasi ?
17:27 Quel est le point de vue de Takiwasi sur l’origine de la toxicomanie ?
20:54 En quoi Takiwasi se distingue d’une prise en charge conventionnelle ?
Deuxième partie
00:11 Comment agissent les plantes dites “hallucinogènes” ?
06:41 Qu’est ce que l’ayahuasca ?
10:39 L’expérience de l’ayahuasca est-elle accessible à un Occidental ?
13 :11 Dans vos pratiques, quel lien faites-vous entre la religion et l’ayahuasca ?
Interview avec le Dr Blaise, psychiatre addictologue
En refusant les médicaments au profit des plantes médicinales amazoniennes, le centre Takiwasi propose une thérapie tout à fait originale dans le traitement des addictions.
En France, et encore plus aux Etats-Unis, les médicaments palliatifs sont un incontournable de traitement des addictions.
Au delà de cette différence, comment se développe l’approche de l’addictologie en France ?
Pour répondre à nos questions, nous avons donc rencontré Mario Blaise, psychiatre, addictologue, et chef de service du Centre Médical Marmottan à Paris. Marmottan est un centre particulièrement engagé dans le suivi psycho-social des patients, les soins sont anonymes, volontaires et gratuits, conformément à la loi du 31 décembre 1970.
Voici la liste des questions que nous lui avons posées :
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0:28 Quelles formes prend la toxicomanie aujourd’hui ?
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5:54 Quels sont les facteurs qui conduisent à l’addiction ?
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8:14 Est-on dans une société addictogène ?
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9:40 Quel est le parcours des patients à Marmottan ?
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13:15 L’addiction remplit-elle une fonction dans la vie des toxicomanes ?
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16:40 Quel lien entre quête spirituelle et toxicomanie ?
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18:54 Quelle place ont les médicaments dans le traitement ?
Sur la trace d'Aquilino
Le pouvoir des ikaros
Le guérisseur Don Aquilino vit le long de la rivière Huallaga, près de Chazuta, dans la région de San Martin. Il porte le nom que son père, l’un des maîtres qui a transmis à Jacques Mabit et à Takiwasi des ikaros, chants de guérison. Le pouvoir des ikaros fut l’une des découvertes les plus marquantes de notre voyage sur la voie des plantes. A Takiwasi, ils sont utilisés pendant les purges de plantes ou les sessions d’Ayahuasca. Ces chants semblent constituer un métalangage énergétique qui pénètre les corps et guide les effets des plantes.
Les ikaros sont inspirés aux curanderos lors des diètes de plantes en forêt et peuvent être ensuite transmis de maître à élève. Avant de quitter le centre, nous avons interrogé Jacques sur son apprentissage auprès du maître Aquilino. Voici ce qu'il nous en a dit :
"L’intérêt actuel des occidentaux pour la médecine amazonienne est très centré sur l’ayahuasca, parce qu’il y a un effet visionnaire et les occidentaux sont fascinés par tout ce qui est visuel. On vit dans des écrans. En réalité les médecines traditionnelles ont beaucoup d’autres dimensions. D’ailleurs avec Aquilino, je n’ai jamais pris d’ayahuasca, il n’était pas ayahuasquero. Cela se passait à travers l’enseignement des chants et ce qu’on appelle des sopladas, la fumée de tabac. J’ai appris énormément de choses comme ça. […]
Comment avoir un chant dans un corps ? C’est compliqué à comprendre pour un occidental donc il faut penser à une structure énergétique et notre corps ce n’est pas simplement composé des os et des muscles, c’est un corps énergétique. Donc le chant va être incorporé, emboîté, inscrit dans le corps énergétique de la personne. Comme faisait Aquilino : il va charger le chant dans la tabac et c’est le tabac qui sert de pont énergétique entre le corps du guérisseur et le corps de son élève. Donc il va habiliter cette personne à utiliser ce chant de manière puissante. […]
Aquilino avait plusieurs chants mais il y a des chants qui sont plus importants que d’autres. Il m’a enseigné en particulier ce chant qu’il appelle un chant de guérison qui évoque l’énergie de certaines plantes, l’énergie de certains animaux, de certains astres. Le guérisseur peut extraire de son corps énergétique l’énergie de la plante… il peut l’extraire et le transposer dans une autre personne. Les chants servent à cela. "
Pour continuer notre petite enquête, nous avons consulté Martin Huaman, responsable informatique et archiviste à Takiwasi. Martin nous a montré une vidéo, tournée par le réalisateur Québécois Philippe Falardeau en 1992 et retraçant l’apprentissage de Jacques auprès du maestro. Nous avons alors décidé de retrouver le fils Don Aquilino, aujourd’hui lui aussi guérisseur, pour lui montrer cette archive.
Le transfert culturel
Cette histoire de transmission illustre les nouvelles dynamiques du transfert culturel. Historiquement, dès les premières rencontres entre l’Occident et le Nouveau Monde, les savoirs des peuples d’Amérique du Sud ne sont considérés qu’à travers le filtre des intérêts propres au Vieux Monde. L’appropriation des connaissances et l’exploitation des ressources sont alors concomitant à la disparition de tout un pan de connaissances et de manières d’être au monde.
Au 16ème siècle Gonzalo Fernández de Oviedo (1478–1557), ethnologue et naturaliste espagnol affirmait déjà : “Il doit y avoir d’innombrables autres herbes, plantes et arbres appropriés à nos passions et nos blessures; mais comme les vieux Indiens sont déjà morts, avec eux a disparu la connaissance de ces propriétés et de ces secrets de la nature.”
En février dernier, nous rencontrions à l’occasion d’un séminaire Samir Boumediene qui utilise cette citation dans son livre La colonisation du savoir, Une histoire des plantes médicinales du « Nouveau Monde » (1492-1750), une oeuvre qui a grandement inspiré l’idée de notre série documentaire. Dans sa présentation il affirmait : "La connaissance des plantes qui reste n’est pas celle qui se stocke, mais celle qui se vit."
Le nouvel intérêt de l’Occident pour les médecines traditionnelles et sa dimension spirituelle entraîne une revalorisation de certaines pratiques au sein des communautés mêmes qui avaient apprises, progressivement contraintes, à les rejeter. Comment penser et construire désormais des passerelles fondées sur le respect et la réciprocité ? Tel est l’enjeu aujourd’hui.
Ces images (qui ne font pas partie du film "Ceux qui voulaient guérir") retracent notre rencontre avec Don Aquilino, un moment précieux dans notre séjour Péruvien.