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Don Aquilino

Le portrait d'un guérisseur Quechua, un témoignage sur l'histoire de la relation de l'Occident aux savoirs des curanderos, guérisseurs traditionnels Sud-Américains.

Le pouvoir des ikaros

Le guérisseur Don Aquilino vit le long de la rivière Huallaga, près de Chazuta, dans la région de San Martin (Pérou). Il porte le nom que son père, l’un des maîtres qui a transmis à Jacques Mabit et à Takiwasi des ikaros, chants de guérison.

Le pouvoir des ikaros fut l’une des expériences les plus marquantes de notre voyage sur la voie des plantes. A Takiwasi, ils sont utilisés pendant les purges de plantes ou les sessions d’Ayahuasca. Ces chants semblent constituer un métalangage énergétique qui pénètre les corps et guide les effets des plantes.

Les ikaros sont inspirés aux « curanderos » lors des diètes de plantes en forêt et peuvent être ensuite transmis de maître à élève. Avant de quitter le centre, nous avons interrogé Jacques sur son apprentissage des chants auprès du maître Aquilino.

"L’intérêt actuel des occidentaux pour la médecine amazonienne est très centré sur l’ayahuasca, parce qu’il y a un effet visionnaire et les occidentaux sont fascinés par tout ce qui est visuel. On vit dans des écrans. En réalité les médecines traditionnelles ont beaucoup d’autres dimensions. D’ailleurs avec Aquilino, je n’ai jamais pris d’ayahuasca, il n’était pas ayahuasquero. Cela se passait à travers l’enseignement des chants et ce qu’on appelle des sopladas, la fumée de tabac. J’ai appris énormément de choses comme ça. […]

Ikaro TarawiDon Aquilino
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Comment avoir un chant dans un corps ? C’est compliqué à comprendre pour un Occidental donc il faut penser à une structure énergétique et notre corps n’est pas simplement composé d'os et de muscles, c’est un corps énergétique. Donc le chant va être incorporé, emboîté, inscrit dans le corps énergétique de la personne. Comme faisait Aquilino : il va charger le chant dans la tabac et c’est le tabac qui sert de pont énergétique entre le corps du guérisseur et le corps de son élève. Donc il va habiliter cette personne à utiliser ce chant de manière puissante. […]

Aquilino avait plusieurs chants mais il y a des chants qui sont plus importants que d’autres. Il m’a enseigné en particulier ce chant qu’il appelle un chant de guérison qui évoque l’énergie de certaines plantes, l’énergie de certains animaux, de certains astres. Le guérisseur peut extraire de son corps énergétique l’énergie de la plante… il peut l’extraire et le transposer dans une autre personne. Les chants servent à cela."

A propos de l’utilisation des Ikaros à Takiwasi on vous conseille cette interview passionnante Rosa Giove.

Pour continuer notre petite enquête, nous avons consulté Martin Huaman, responsable informatique et archiviste à Takiwasi. Martin nous a montré une vidéo, tournée par le réalisateur Québécois Philippe Falardeau en 1992 et retraçant l’apprentissage de Jacques auprès du maestro. Nous avons alors décidé de retrouver son fils, Don Aquilino, aujourd’hui lui aussi guérisseur, pour lui montrer cette archive.

Le transfert culturel ou la construction historique des rapports de force

Dans son interview Don Aquilino resitue cette histoire de transmission d’une culture à une autre dans une perspective historique des rapports de force.

Ses propos font échos au livre de Samir Boumediene « La colonisation du savoir, Une histoire des plantes médicinales du « Nouveau Monde » (1492-1750) » qui a inspiré notre série documentaire « La voie des Plantes » et qui invite à considérer les plantes comme des indicateurs de rapports de force politique.

Dès les premières rencontres entre l’Occident et le Nouveau Monde au 15ème siècle, les savoirs des peuples d’Amérique du Sud ne sont considérés qu’à travers le filtre des intérêts propres au Vieux Monde. Il ne s’agit pas simplement de combattre une culture, mais de se l’approprier.

Dans les cultures autochtones, les plantes, enserrées dans un ensemble de liens, renvoient aux « manières de vivre », c’est-à-dire à « la pratique incorporée de savoirs inscrits dans le cours des expériences ordinaires ». Elles révèlent « l’importance autant que la fragilité des séparations entre ce qui est visible et ce qui invisible ». Aussi les pratiques rituelles autochtones restent souvent irréductibles aux catégories des colons Européens dont la modalité de connaissance opère une « découpe dans l’ordre du réel d’un objet pris dans ses spécificités et détaché de l’existence ». Cet écart de « perception » induit les mécompréhensions et les irréductibilités entre la pharmacopée des Indiens et l’approche européenne des médications.

“Il doit y avoir d’innombrables autres herbes, plantes et arbres appropriés à nos passions et nos blessures ; mais comme les vieux Indiens sont déjà morts, avec eux a disparu la connaissance de ces propriétés et de ces secrets de la nature.”

Gonzalo Fernández de Oviedo (1478–1557), ethnologue et naturaliste espagnol

L’appropriation des connaissances et l’exploitation des ressources ont d’abord été concomitantes à la disparition de tout un pan de connaissances et de manières d’être au monde.

Plus récemment, l’intérêt de l’Occident pour les médecines traditionnelles et sa dimension spirituelle valorise à nouveau certaines pratiques au sein des communautés mêmes qui, progressivement contraintes, avaient apprises à les rejeter. Le tourisme shamanique, la mercantilisation des pratiques, réinventent le statut même du « curandero » traditionnel et sa représentation, encore aujourd’hui avant tout déterminés par des dynamiques exogènes.

Face ces héritages historiques, l’enjeu est grand aujourd’hui de construire des passerelles entre ces compositions du monde, fondées sur le respect et la réciprocité.

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